Transcription de l’intervention d’Agnès Pannier–Runacher, Ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie.
9ème Rencontres du G5, le 21 octobre 2020
Je vous remercie pour votre invitation.
Je veux vous dire 4 choses très simples.
La première chose, c’est que la politique industrielle, la politique en faveur des industries de santé, est au cœur de notre politique économique.
C’est une priorité, mais on vient de loin. Je rappelle qu’entre 2008 et 2018, la France a perdu la moitié de ses parts de marché internationale dans le domaine de la santé. Il faut réenclencher un cercle vertueux face à des entreprises qui sont parfois en attente, voire peut être un peu déçues par des grandes déclarations des responsables politiques qui ne sont pas toujours suivies d’effets, notamment sur la politique du prix du médicament. Politique qui est particulièrement drastique en France. On l’a assumé parce que c’était un élément de tenue des budgets de santé, mais on voit aujourd’hui les limites de cette politique. Je crois que ce n’est pas seulement la parole de la Ministre en charge de l’Industrie : c’est également ce que ressent, ce que vit aujourd’hui le Ministre de la santé puisque lorsque vous traversez une crise sanitaire, vous touchez du doigt les limites d’avoir moins de production en France et, au passage, en Europe ce qui n’est pas qu’un sujet de politique du prix du médicament.
L’industrie est au cœur de notre politique économique et je veux rappeler le chemin qui a été parcouru depuis 3 ans. Les évènements se chassent les uns les autres mais lorsqu’on se remet en 2017, il y a un certain nombre d’actes très clairs qui ont été posés en faveur de l’attractivité de nos industries et de la santé :
Tous ces éléments là nous ont menés à faciliter l’installation, l’extension de sites industriels.
Cela a produit des effets puisque la France est devenue la première destination en Europe, au sens continental et non UE, des investissements étrangers en matière industrielle avec plus de 330 projets en 2019, à comparer à 150 en Allemagne et 200 projets en Turquie. C’est un signal à prendre en considération et sur lequel nous allons continuer à travailler.
Dans le domaine de la santé, il y a le travail que nous avons fait avec le CSIS depuis juillet 2018. 48 mesures : baisser les délais administratifs, améliorer l’accès au marché des molécules, faciliter/ simplifier l’évaluation du médicament. 85 % des mesures sont aujourd’hui mises en œuvre. Il n’est pas complètement faux non plus de dire que les 15 % de mesures restant à mettre en œuvre sont les plus critiques. Mais il n’est pas illégitime de mettre en œuvre ce qui est le plus simple. Vous l’avez vu dans le PLFSS, on retrouve l’ATU, les mesures sur les essais cliniques, et notre objectif c’est de continuer à être très attentifs, y compris dans la lecture du PLFSS 2021, à ce que ces mesures aillent jusqu’au bout.
Je suis consciente qu’il existe encore des axes de progrès, et cela tombe bien puisqu’il va falloir nourrir un nouveau CSIS.
La deuxième chose que je souhaite vous dire, c’est que la COVID a mis en évidence, de manière éclatante, l’importance du secteur de la santé. Pour vous, c’est évident mais il est bon que ce soit un rappel pour le collectif. Je salue d’abord votre mobilisation. J’ai eu beaucoup au téléphone pendant cette période certaines personnes présente dans cette pièce. Et je sais que si on a réussi à la fois à convertir des lignes de production et à accélérer l’accès à certains produits qui était fabriqués à l’étranger et qui nous manquaient cruellement, compte tenu de l’explosion de la consommation, c’est aussi grâce à vous. Et je crois pouvoir dire que vous avez été en 1ère ligne et ça continue, puisque nous allons devoir continuer à soutenir cet effort de lutte contre la COVID.
Je sais aussi que des entreprises ont connues des difficultés ou sont en difficulté du fait de la déprogrammation de beaucoup d’activités. Nous sommes dans la situation paradoxale d’avoir des entreprises qui ont dû travailler quasiment 24/24, 7 jours sur 7 et d’autres entreprises dont les carnets de commande se sont effondrés, faute d’activités programmées correspondant aux pathologies sur lesquelles elles étaient positionnées. Nous allons accompagner cette 2ème catégorie d’entreprises.
Mais il ne faut pas mentir : des vulnérabilités ont été mises en évidence. Ces vulnérabilités étaient d’ailleurs connues, étaient au cœur du travail que menait Monsieur BIOT dont le rapport sur les pénuries de médicaments était prêt fin février et qui, du fait de la COVID, l’a présenté officiellement mi-juin. Cette dépendance aux plan français et européen à l’égard de pays tiers a été mise en évidence de manière éclatante : quand les frontières se ferment pour des raisons de santé, là on mesure cette perte de souveraineté technologique et, dans le cas d’espèce, assez essentielle.
Je crois que cela a permis une prise de conscience collective. Prise de conscience au niveau européen, et j’espère qu’elle se traduira par des actes. La Présidente de l’Union européenne Ursula VON DER LEYEN a évoqué l’idée de mettre en place une BARDA. Je pense pouvoir dire que cette idée a été très inspirée par un Président de la république français actuellement en poste. Au-delà de cela, il faut agir au plan national. C’est que nous faisons avec une politique de relocalisation, dont on est conscient qu’elle doit passer aussi par le prix et par la reconnaissance et des efforts d’exportation, et des efforts d’industrialisation. Plus facile à dire qu’à faire. Néanmoins, nous avons des leviers que sont les crédits CSIS, la nouvelle négociation du CEPS avec le LEEM. Vous avez pu voir aussi que le profil du Président du CEPS est plutôt plus divers que celui de ses prédécesseurs. Ce sont autant de signaux de notre volonté de trouver des solutions. Des solutions équilibrées : équilibrées pour les patients, équilibrées pour l’industrie pharmaceutique.
Et puis, il y a des projets très concrets. Je pense à la relocalisation du paracétamol. Cela peut paraitre un peu gadget, cela ne l’est pas complètement tant cette molécule est utilisée de manière massive. C’est aussi le signal que ce n’est pas parce que le cout de production d’un principe actif est 20 % supérieur à l’Inde que compte tenu de sa part dans le produit fini (qui est de 5 %), on ne serait pas capable de la relocaliser en France. A un moment, ce petit pourcentage est notre assurance d’y avoir accès de manière pérenne, de ne pas avoir de rupture de production et d’approvisionnement. Quand on parle de résilience, on parle aussi de sécurisation des approvisionnements. On prend des assurances contre les incendies, contre les cyberattaques, on peut aussi prendre des assurances contre les ruptures d’approvisionnement. Cela a un surcout, on le sait. Il faut qu’il reste raisonnable et collectivement pris en charge.
Je pense également à un projet qui me tient à cœur puisqu’il porte sur notre lutte contre la COVID qui est l’implantation d’une usine de vaccins à Marcy L’Etoile, et je regarde Olivier Bogillot. C’est un projet de 600 millions d’euros d’investissements. C’est un projet ambitieux, qui montre que l’on est capable d’avoir des projets d’importance, de relocalisation de sites en France.
Nous devons absolument être plus ambitieux. C’est l’objet du plan de relance : donner des moyens à notre ambition. Son objet n’est pas d’arrêter l’hémorragie de trésorerie d’un certain nombre de secteurs, mais d’agir pour préparer l’avenir. Si on veut retrouver une croissance soutenue, il faut être meilleur que ce que nous sommes aujourd’hui. Il faut investir massivement dans l’innovation et les compétences. Il faut travailler sur la modernisation de nos usines de production, l’usine 4.0, pour laquelle on consacre près d’un milliard d’euros. Il faut aussi regarder les investissements dans nos infrastructures médicales et on va y consacrer 6 milliards d’euros.
Et il faut que l’on accepte de regarder les relocalisations, même si les sites sont potentiellement SEVESO, s’ils présentent un certain nombre de complexités. Je crois aujourd’hui que les Français sont près à entendre que l’industrie, c’est aussi une solution avant d’être un problème.
Le CSF doit se saisir de ce plan de relance. Il doit bien sûr poursuivre les projets lancés qui ont une actualité évidente : dans la bio production, dans la santé numérique et l’IA, dans l’antibiorésistance. Ils doivent maintenant accompagner les PME et les ETI pour se saisir du dispositif. Nous avons pas mal de répondants aux appels à projets lancés. Il doit définir des projets communs. Il faut savoir choisir ses combats si nous voulons avancer plus vite. Nous ne serons pas capables de doubler la part de la production en France. Donc, quels sont les vrais combats, ceux que l’on veut gagner et les sujets sur lesquels on accepte d’avoir un multi approvisionnement au plan mondial, ce qui n’est pas non plus indécent ?
Je souligne aussi l’importance des contreparties, terme qui donnent quelques frissons à certains chefs d’entreprise. Nous sommes dans un moment où la solidarité économique est essentielle pour soutenir socialement le pays. La solidarité économique, c’est quand une entreprise va bien, il faut qu’elle soit la locomotive des autres. Elle doit réfléchir à faire attention dans ses achats, et plutôt privilégier des Français et plutôt des Européens avant d’aller acheter très loin. Parce que le petit euro de différence, c’est celui qui peut permettre à une entreprise de rester sur le territoire. Lorsque vous êtes dans un grand toboggan de pertes de richesses, de risques de chômage, c’est l’ensemble du pays qui tousse et à un moment, cela touche votre industrie, même si vous avez de bonnes parts de marché et un carnet de commandes rempli. Cette solidarité est nécessaire dans les délais de paiement, dans la façon de choisir vos sous-traitants. C’est une grande attente que nous allons avoir.
La solidarité est également nécessaire dans l’investissement dans les compétences et la façon de recruter des personnes qui peuvent paraitre éloignées de l’emploi : les jeunes, ceux qui vont être en reconversion dans les mois qui viennent. Au moment où l’on dit que l’on a des difficultés à recruter des compétences industrielles, investissons massivement dans les reconversions. On s’aperçoit souvent que l’on a de très bonnes surprises avec ceux qui sont motivés pour faire ce chemin vers la reconversion.
Les contreparties peuvent être aussi environnementales avec le fait d’avoir, collectivement, une bonne conscience de nos émissions carbones, de connaître les postes les plus faciles à couper et de faire les bons investissements. Nous allons accompagner massivement la décarbonation des entreprises. Là encore, il faut partir de la réalité et ne pas avoir des recettes toutes faites. Dans certains secteurs, le combat de base va être la chaleur décarbonée. Il faut se positionner sur les bons combats pour que chacun apporte sa pierre au bien collectif.
Nous Etat, et je le dis de façon un peu solennelle, il faut que nous soyons cohérents dans notre politique, et en particulier notre politique du prix du médicament. La modération de l’effort économique sur le médicament a été réalisée à 300 milliards d’euros. Pour nous, c’est un effort. Il est inscrit dans le PLFSS2021. C’est un arbitrage qui a été pris au plus haut niveau de l’Etat. Pour assurer la sécurité des approvisionnements, il faut, à un moment, accepter de payer un pour cent, deux pour cent, peut-être un peu plus. Il faut conclure l’accord CEPS-LEEM en conséquence, c’est-à-dire en tenant compte de ces éléments.
En parallèle, nous souhaitons que l’Europe soit à la pointe de ce combat pour la santé. Nous n’allons pas seuls relocaliser des productions en France. Ce n’est pas notre intérêt et ce n’est pas, non plus la tendance des autres pays. J’ai eu beaucoup de contacts avec mes homologues qui sont sensibilisés au sujet (autrichien, italien, espagnol, néerlandais, allemand, etc.). Ils mesurent qu’un site qui part, c’est irréversible. Un site que l’on maintien, que l’on renforce, où l’on innove, que l’on modernise, dont on accepte qu’il ait des moments de restructuration, c’est probablement une solution plus durable et plus utile pour la population.
Vous l’avez compris, vous êtes regardé comme un secteur prioritaire. Il vous appartient maintenant d’incarner cette ambition par une feuille de route très concrète. Sur le CSIS, puisqu’un CSIS nouveau doit être mis en place. Sur les relocalisations et solidarités au sein de la filière, et entre filières. Sur l’innovation puisque le projet d‘investissements d’avenir réinvestit 20 milliards d’euros dans les prochaines années, dont 7 milliards en 2020, 2021 et 2022. La santé a toute sa place dans ce dispositif. Et au travers de notre contrat stratégique de filière avec une gouvernance qui pourrait probablement être légèrement élargie car la santé est un continuum.
Je vous remercie.