Publié le 05 décembre 2016

Innover en France : quel rôle pour les partenariats public/privé ? Comment créer la confiance nécessaire ?

La France dispose d’une excellente recherche académique mais des progrès peuvent encore être réalisés pour améliorer l’articulation entre le public et le privé et apporter plus rapidement les innovations auprès des patients. Dans son livre blanc, le G5 Santé insiste sur la nécessité de simplifier les modes de fonctionnement, au bénéfice de tous.

Participent à cette table ronde :

  • Philippe Archinard, Président-Directeur Général de Transgene, Président de Lyon Biopôle et Président de BioAster
  • Laurent Audoly, Directeur Général de l’Institut de Recherche Pierre Fabre et Directeur R&D
  • Christian Béchon, Président-Directeur Général du LFB
  • Emmanuel Canet, Président Recherche et Développement du Groupe Servier
  • Stanislas Lyonnet, Directeur de l’Institut Imagine
  • Pierre Meulien, Directeur de Innovative Medicines Initiative (IMI)

Eric BRUNET
En France, les partenariats public/privé sont parfois vécus comme des rapprochements incongrus, voire peu convenables. Christian Béchon, quels sont les enjeux selon vous ?

Christian BECHON
La France dispose d’une excellente recherche académique mais des progrès restent à faire pour améliorer l’articulation entre le public et le privé et apporter plus rapidement les innovations auprès des patients. Dans son livre blanc, le G5 Santé insiste sur la nécessité de simplifier les modes de fonctionnement, au bénéfice de tous.

Emmanuel CANET
Au-delà de tous les outils qui peuvent être mis en place, le facteur humain est essentiel pour le rapprochement du public et du privé. La mobilité et les passerelles entre ces deux univers doivent être favorisées. Les bourses CIFRE pourraient par exemple être étendues aux postdoctorants. Pour renforcer l’écosystème, l’un des éléments importants est également d’être en capacité d’attirer des talents et de faire revenir les chercheurs qui sont, un temps, allés se former à l’étranger.

Eric BRUNET
Quel est votre degré de satisfaction vis-à-vis de la situation actuelle ?

Emmanuel CANET
L’appréciation doit se faire au cas par cas. Même si des mesures de simplification sont certainement nécessaires, nous pouvons toutefois mener d’excellents partenariats en France. Dès lors qu’il existe une ambition commune, nous pouvons travailler dans des conditions très satisfaisantes.

Eric BRUNET
Donc, vous considérez qu’il n’existe pas de freins structurels.

Emmanuel CANET
Je ne nie pas les difficultés mais l’enjeu est avant tout de mettre en relation des hommes et des femmes autour de projets de qualité.

Eric BRUNET
Dans une émission que j’anime à la radio, j’ai créé une rubrique intitulée « le Français de l’étranger ». Parmi les personnes qui m’appellent, beaucoup sont des chercheurs. Quand je leur demande pourquoi ils ont quitté la France, ils m’expliquent souvent qu’ils ont pris cette décision face à l’impossibilité de trouver un poste dans le public. Les opportunités en CDI sont rares et le dispositif Sauvadet empêche la réitération des CDD. Par conséquent, la seule solution est souvent de partir s’installer dans d’autres pays.

Christian BECHON
La crise budgétaire de l’Etat a réduit les ressources que ce dernier pouvait consacrer à la recherche publique. Néanmoins, je ne perçois pas la loi Sauvadet comme une régression sociale. Employer à vie des chercheurs en CDD ne me paraît pas non plus être une solution. Pour éviter ce gaspillage de ressources, l’une des pistes pourrait être de renforcer la collaboration avec l’industrie et de faciliter la mobilité vers le secteur privé.

Pierre MEULIEN
IMI est financé pour moitié par la Commission Européenne et pour moitié par l’industrie pharmaceutique. Ses ressources sont conséquentes, puisque 5 milliards d’euros ont été mobilisés sur 14 ans. Elles permettent de soutenir des projets associant le public et le privé. L’objectif est de favoriser ces interactions autour de thématiques prioritaires qui nécessitent de faire intervenir tous les acteurs. Des travaux sont en cours sur la maladie d’Alzheimer, la résistance aux antibiotiques, etc.

Eric BRUNET
Considérez-vous que cette culture partenariale existe en France ?

Pierre MEULIEN
La France dispose d’une recherche académique et d’une industrie excellentes mais elles ne parviennent pas toujours à travailler ensemble. Cette situation ne me semble pas être liée aux structures. Il faut surtout créer les conditions d’un dialogue et favoriser les rapprochements, grâce à des plateformes ou des forums.

Eric BRUNET
L’Institut Imagine est-il né d’un partenariat public/privé ?

Stanislas LYONNET
Oui, au travers d’une fondation de coopération scientifique. Celle-ci permet de rassembler tous les acteurs et de faciliter la mise en œuvre des projets. Nous avons pu constater que cette proximité ouvrait des perspectives que nous n’aurions jamais espérées.

Philippe ARCHINARD
Il existe peu de barrières entre les chercheurs et les industriels. Les grands groupes ont joué un rôle clef dans la structuration des écosystèmes et ont fait preuve d’un réel engagement citoyen. Il y a dix ans, beaucoup de projets étaient présentés comme des collaborations mais reposaient sur des relations de donneurs d’ordre à prestataires. La situation a beaucoup changé. Désormais, plus aucun acteur, quelle que soit sa puissance, ne peut travailler seul. La concrétisation des partenariats peut encore poser des difficultés. J’ai cependant l’impression que les tutelles en ont pris conscience et que des évolutions sont en cours dans ce domaine.

Eric BRUNET
Que pensez-vous de l’intervention de l’Etat ?

Philippe ARCHINARD
L’Etat est dans son rôle quand il définit une stratégie et suit l’utilisation des ressources publiques. Il l’est beaucoup moins lorsqu’il veut régir le fonctionnement des écosystèmes à la place des acteurs qui les composent. Les pôles de compétitivité ont été une réussite, car ils ont eu toute la liberté nécessaire pour se créer. A l’inverse, la mise en œuvre du programme d’investissements d’avenir s’est accompagnée de règles trop contraignantes.

Laurent AUDOLY
Nous avons connu des succès chez Pierre Fabre mais nous ne pouvons pas être satisfaits de la situation actuelle. La négociation de la propriété intellectuelle est une source de complications inouïes avec les laboratoires de recherche. Nous entrons dans des débats sans fin avec des juristes pour valoriser des innovations potentielles. Or dans la pharmacie, nous subissons une très forte attrition. Un projet qui entre en phase I a une chance sur dix d’aboutir sur le marché.
En Israël, le mélange des deux mondes est une évidence. Il en est de même aux Etats-Unis. La reconnaissance des chercheurs ne vient pas uniquement des publications. Ils ont tous créé des start-ups et connu des succès et des échecs. Nous devrions faciliter ce passage entre le public et le privé en France. De ce point de vue, il faut que nous changions d’attitude. Nous bénéficions d’un environnement extrêmement favorable.

Eric BRUNET
Quels sont les freins qui nous empêchent d’en profiter ?

Laurent AUDOLY
Nous avons trop peur de l’échec. Nous devons également revoir notre relation au temps et tenir compte de l’accélération du marché.

Eric BRUNET
Avez-vous des questions ?

Eric POSTAIRE, Cité du Médicament, Faculté de Pharmacie de Paris
L’innovation ne vient pas uniquement de la recherche. La création de structures issues de partenariat public/privé permet aussi de créer du dynamisme et de lancer un nouvel élan.

Laurent AUDOLY
Nous ne devons pas sous-estimer la notion de campus et la proximité géographique. Le rapprochement d’acteurs autour de problématiques qui les motivent peut parfois créer une certaine magie.

Christian BECHON
Nous ne manquons pas de structures mais nous devons admettre que les relations entre le public et le privé sont encore insuffisantes. Pour un chercheur, rejoindre l’industrie signifie abandonner son statut. Sa carrière dépend de ses publications, ce qui ne l’incite pas à créer des start-ups. Nous ne pouvons pas nier l’existence de ces barrières.

Brigitte LINDET, Directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Technologie des Biomolécules de Bordeaux
Le fait que les chercheurs soient évalués uniquement sur les publications et le facteur d’impact constitue évidemment un frein au développement des partenariats public/privé. De ce point de vue, l’initiative TWB à Toulouse est une expérience intéressante. Ce modèle pourrait peut-être être mis en œuvre dans le domaine de la santé.

Philippe ARCHINARD
TWB est incontestablement une réussite. Ce type de structures vise à combler le vide que nous connaissons en France entre une recherche académique d’excellence et une industrie puissante. Il facilite la transformation des innovations et leur passage vers le marché. Pour les chercheurs, le problème reste la valorisation de ces activités dans leur carrière. Tant que ce frein n’aura pas été levé, nous aurons des difficultés à avancer.

Eric BRUNET
Il y a une dizaine d’années, je me souviens que certains Présidents d’universités refusaient de travailler avec des entreprises privées.

Brigitte LINDET
De ce point de vue, je pense que les évolutions ont été réelles au cours des dernières années. Aujourd’hui, les problèmes ne sont plus conceptuels mais relèvent uniquement de la gestion des carrières.

Laurent AUDOLY
Les relations ne posent généralement pas de problèmes entre les chercheurs et les industriels mais les structures de valorisation poursuivent leurs propres objectifs. Nous devons améliorer le fonctionnement de ce trinôme, d’autant que nous n’avons pas forcément les mêmes ressources que les entreprises pharmaceutiques anglo-saxonnes. Nous devrions disposer d’un cadre privilégié, qui nous permette de faciliter les transferts de technologies.

Stanislas LYONNET
A notre demande, Yves Lévy a accepté qu’une antenne d’INSERM Transfert soit installée sur le site de l’Institut Imagine. Nous devrions gagner en fluidité.
Nous avons par ailleurs lancé un master de bioentrepreneur. Dans ce cadre, nous allons faire travailler quatre trios d’étudiants, issus de Paris Descartes, de HEC et de l’X, autour d’une découverte de l’Institut Imagine et de sa valorisation. Le meilleur projet recevra un prix de 100 000 euros, financé par LBO France.

Christian PARRY, STAGO
Nous constatons des différences culturelles entre les chercheurs et les industriels. Ils ne s’inscrivent pas forcément dans les mêmes échelles de temps. Les enjeux de propriété intellectuelle peuvent aussi être source d’incompréhension, avec des tensions entre la nécessité de respecter le secret autour des projets et l’envie de les publier.

Pierre MEULIEN
Les Français, et plus largement les Européens, ont des réticences vis-à-vis du risque. Seuls les Etats-Unis et Israël le valorisent. Les raisons de cette situation seraient certainement à approfondir.

Philippe ARCHINARD
Notre problème n’est pas tant lié à la création d’entreprises, qui est très dynamique en France, qu’à notre capacité à faire grandir ces structures. Les Etats-Unis, et indirectement Israël, profitent de flux financiers que nous ne pouvons pas mobiliser.

Christian BECHON
Nous avons des atouts mais il nous manque un grand souffle. Celui-ci est malheureusement coupé par les restrictions budgétaires, la prévention des conflits d’intérêts poussée dans ses excès, l’hyperjuridisme autour de l’utilisation des données de santé ou de la modification génétique des cellules humaines, etc. Nous devons avoir de l’ambition. Les propositions du G5 Santé vont, nous l’espérons, dans ce sens.

Eric BRUNET
Nous reviendrons sur le contenu de ce livre blanc lors d’une prochaine table ronde.